En scène

Publié le par yaduneuf

Qui n'a pas un jour rêvé devant un écran de voir, si ce n'est sa vie entière, un bout de son existence mise en scène .... qui dans une version hollywoodienne, qui dans une approche félinienne, qui dans un style épuré et d'avant garde.

 

Comme disait Nougaro .... l'écran noir de mes nuits blanches ......

Je reconnais bien volontiers y avoir songé, l'avoir imaginé. Mais bien vite, je me suis rendu à la réalité et je me suis extirpé de ce piège onirique, j'ai rejoint la réalité, que d'aucuns qualifieraient de triste ou de dure. Soyons réalistes, à moins de faire la une d'un fait divers ou d'être plongé, à mon corps défendant, dans un scandale d'ampleur nationale, il est fort peu envisageable qu'un jour mon nom soit en bonne place au générique d'une quelconque production.

 

Je me suis donc résigné à continuer mon petit bonhomme de chemin dans l'immense masse de l'anonymat, certain d'y être un peu à l'étroit en raison du grand nombre d'inconnus du grand public qui, comme moi, avaient entamés la longue route de la non célébrité.

 

Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'au lieu de jouer des coudes pour me frayer un chemin, j'évoluais avec la plus grande aisance et la plus absolue fluidité sur cette autoroute du non connu, de l'anonyme .... Je demeurai perplexe sur le bord du chemin, m'interrogeant, me demandant où étaient passés tous ceux que je m'attendais à croiser sur mon chemin.

Puis, au détour d'un surf, je les vis enfin, courrant à en perdre haleine, se précipitant sans prendre garde vers une destination qui m'était inconnue.

Soudain, l'un de mes semblables, resté lui aussi dans l'ombre pendant bien longtemps, me saisit par la manche et m'exhorta à le suivre sans tarder ... "où va t on ? " demandais je quelque peu surpris.

 

Il arrêta sa course folle un instant pour me dévisager comme si j'étais un extra terrestre ... Puis m'entraînant à nouveau, il m'expliqua qu'il n'y avait pas une minute à perdre si je voulais devenir célèbre et connu de tous : Facebook venait d'ouvrir ses portes et il fallait impérativement en être. Il me parla ainsi de profil, de publications, de statuts, d'amis, de like et de je ne sais autres sésames qui allaient m'ouvrir directement les portes du paradis.

 

Comme nous étions arrivés devant la porte, je suis entré ... me suis crée un profil, ai publié un statut, ai cherché des amis, en ai souhaité d'autres, ai liké des publications et parfois fébrilement attendu que l'on me like en retour ..... Et frénétiquement, je scrutais chaque jour le compteur des commentaires, mesurant à l'aune de ceux ci ma popularité grandissante, frémissant à chaque augmentation, craignant chaque baisse ......

Je n'étais pas le seul ... mais je m'en moquais ...j'avais, à défaut de quart d'heure, mon pixel de gloire, ma part de reconnaissance. Et même si elle n'était que viruelle, je pouvais à tout moment voir mon nom et ma photo affiché sur un écran d'ordinateur ... qu'il fut à Paris, Los angeles, Mexico ou Singapour ........

 

J'étais médiatique, connu, découvert, suivi et, faisant partie de la grande famille des inconnus révélés au monde entier, en retour, je likais, je followais et recommandais .....

Enfin, j'y étais ..... arrivé au sommet de ma gloire personnelle, dans mon cinéma, dans le grand cinéma .... J'étais devenu l'acteur international le plus accessible.

 

Et pus un jour ... la catastrophe ... le séisme .... l'incompréhension .... la stupeur ..... le doute ... l'angoisse .... Je venais de passer deux jours entiers sans un commentaire, sans un like, sans un partage alors que j'avais publié sans relâche, alors pourtant que j'avais, sans ménager mes efforts, mis ma vie en scène pour mon public, toujours plus nombreux ... du moins me semblait il ...

 

Et je me suis assis sur le bord de la bande passante et j'ai observé tous ceux qui me passaient devant au jeu du grand compteur numérique ...... j'ai regardé les champions de la mise en scène, les artistes virtuels, les metteurs en scène de l'illusion .... ce petit nombre de privilégiés qui sont suivis, aimés, partagés sans discontinuer ..... qu'ils disent un mot ou cent, ou même qu'ils ne disent rien, et la toujours plus grande cohorte de ceux qui les érige en vedettes.

 

Je me suis levé, un peu triste ..... je me suis mis à écrire .... anonymement .... mais je l'ai quand même publié  .... quitte à être inconnu, autant que tout le monde le sache ....

 

On vit une drôle d'époque

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